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Enjeux de la possible introduction de l’absence de consentement dans la définition pénale du viol

Retrouvez-ci dessous l'article du pôle Droit des femmes

« Je crois que ce soir, collectivement, nous avons acté que nous passions de la culture du viol à la culture du consentement. » Ces mots, prononcés avec émotion par la députée écologiste Marie-Charlotte Garin, résonnent comme un tournant historique. Ils font suite à l’adoption, le 15 octobre 2020, d’une proposition de loi qui visait à intégrer explicitement l’absence de consentement dans la définition pénale du viol, une réforme attendue, réclamée, et enfin entérinée en 2024.

Depuis plusieurs années, la parole des victimes de violences sexuelles s’est libérée. Portée par des mouvements comme #MeToo, elle a mis en lumière un décalage douloureux entre ce que vivent les victimes et ce que reconnaît le droit. Trop souvent, leur souffrance reste sans suite. En 2023, plus de 21 000 plaintes pour viol ont été classées sans suite, selon le ministère de la Justice. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des récits tus, et un sentiment d’injustice qui ronge. Il faut dire que la définition juridique du viol, longtemps fondée uniquement sur la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, ne permettait pas toujours une caractérisation juridique adéquate des violences sexuelles, notamment dans les cas d’absence de consentement non assorti de violence physique. Elle réduisait ainsi l’agression sexuelle à une violence manifestement démontrable écartant les formes les plus insidieuses de contrainte psychologique ou de sidération. Cette faille dans le droit pénal posait non seulement des difficultés sur le plan de la preuve, surtout pour une infraction aussi intime, mais elle reflétait aussi une vision déformée de ce que peut être un viol. Les travaux de la sociologue Océane Perona ont d’ailleurs montré que plus la victime connaît son agresseur, plus les chances de classement sans suite augmentent. Comme si l’intimité partagée auparavant suffisait à invalider la possibilité d’un viol. En ce sens, on peut aussi rappeler la condamnation de la France par les juges de Strasbourg le 23 janvier 2025 sur la notion de devoir conjugal, refusant d’assimiler l’acceptation à la communauté de vie avec l’acceptation à la « communauté de lit ».

Face à ce constat, la loi devait évoluer. En inscrivant clairement la notion de consentement au cœur de la définition pénale du viol, le législateur répond enfin à l’exigence de mieux protéger les victimes et de mieux dire, en droit, ce que la société ne veut plus taire.

I. Le consentement : une notion appréhendée par les tribunaux

Il convient pour le juge pénal d’apprécier le consentement au stade de la caractérisation des éléments constitutifs (A), en revanche une absence de consentement étant à caractériser, cela laisse persister des zones grises (B)

A. Le consentement apprécié au stade de la caractérisation des éléments constitutifs

Si le rôle du législateur en droit pénal est de définir l’élément moral et matériel de ce qui constitue un crime, c’est au juge qu’il revient d’interpréter la loi notamment lorsque celle-ci est obscure et ce pouvoir d’interprétation est d’autant plus délicat en matière pénale. Bien que la définition légale du viol ne se réfère pas au consentement, celle-ci est de longue date utilisée par les tribunaux. Par un arrêt de principe « Dubas » rendu en 1857, rendu avant la loi de 1980, la Cour de cassation donne une définition du viol et énonce que le défaut de consentement peut résulter de la violence physique ou morale. Depuis lors, les juges retiennent une conception extensive des éléments matériels, notamment de la contrainte et de la surprise. En illustre un arrêt rendu par la chambre criminelle le 5 décembre 2007, dans lequel elle caractérise la contrainte du seul fait du jeune âge de la victime, puisqu’il en résulte son impossibilité de donner son consentement à l’auteur. Dans un arrêt largement commenté par la doctrine, du 23 janvier 2019, la cour retient la surprise dans une affaire de « catfishing » où les victimes alors même qu’elles avaient consenti à un rapport, n’avaient pas consenti au partenaire sexuel, puisqu’elles avaient fait l’objet d’un stratagème par l’auteur consistant pour ce dernier à dissimuler volontairement sa véritable identité. Aussi, l’absence de consentement est également recherchée à travers l’appréciation de l’intention coupable, puisque pour être reconnu coupable de viol il faut que l’auteur ait eu conscience d’imposer à la victime un rapport non consenti. Par ailleurs, un arrêt rendu par la chambre criminelle le 11 septembre 2024, largement commenté par la doctrine, traduit une solution innovante face à l’état de sidération de la victime. Était en cause une jeune fille qui a subi des actes sexuels commis par son oncle alors que cette dernière dormait et n’a pas pu réagir, la Cour énonce que l’état de sidération de la victime résulte de la surprise, ce qui lui a permis de retenir l’absence de consentement et de caractériser l’élément matériel.

B. L’absence de consentement comme élément constitutif : la persistance de zones grises

Derrière la proposition de loi adoptée afin d’introduire le consentement dans la définition légale du viol, on retrouve l’idée que cela faciliterait la caractérisation de ce crime. En effet, il est souvent délicat de caractériser le viol, dans certaines situations assez fréquentes, où la victime se trouve en état de sidération. Maître Azougach énonce les incompréhensions que soulèvent cette situation qui ne correspond pas à l’imagination collective que l’on se fait de la réaction d’une victime de viol, que l’on imagine se débattre en criant. En ce sens, l’état de sidération peut constituer un frein à la caractérisation de l’élément moral, la défense de l’auteur présumé des faits pouvant consister à arguer qu’il n’avait conscience de l’absence de consentement de la victime. C’est d’ailleurs l’axe de défense qui a été mis en avant par les avocats des prévenus dans l’affaire des viols du procès de Mazan, mais qui n’a pas suffi à écarter la qualification de viol en raison des éléments à charge attestant la mauvaise foi des accusés. D’après ladite proposition, le consentement ne pourrait ainsi pas se déduire d’un silence ou du comportement passif de la victime. A l’instar du Canada, il s’agirait de décentraliser le débat sur l’existence de la pénétration, pour prendre en compte le consentement de la victime afin d’en déterminer la licéité du rapport et dans le cas inverse caractériser le viol. Toutefois selon Maître Questiaux, l’exemple canadien démontre toutefois que l’introduction d’un consentement négatif dans la définition légale du viol n’a pas nécessairement eu l’effet escompté sur le taux de condamnation, en 2017 c’est 1300 affaires où le viol avait été condamné et en 2021-2022, seulement 934 affaires. Aussi, introduire le consentement revêt une portée symbolique forte, ancrant dans la loi qu’un rapport non consenti est un viol, alors même que les acquis jurisprudentiels s’agissant des éléments matériels seront préservés, comme l’a affirmé le Conseil d’Etat dans son avis sur la proposition de loi, rendu le 11 mars 2025.

Il reste toutefois nécessaire que cette notion soit strictement encadrée par le législateur afin de respecter les principes du droit pénal.

II. L’introduction du consentement dans la définition pénale du viol : l’exigence de respect des principes du droit pénal

L’introduction du consentement dans la définition pénale du viol est donc d’une part nécessaire à la clarification de la notion de viol et est sans aucun doute favorable à l’interprétation stricte de la loi pénale (A) mais n’impose pas d’autre part une présomption de défaut de consentement (B)

A. La nécessaire clarification de la notion commandée par le principe d’interprétation stricte de la loi pénale

L’introduction explicite de l’absence de consentement dans la définition légale du viol ne constitue pas seulement une évolution attendue sur le plan social et juridique ; elle répond également a une exigence fondamentale du droit pénal : celle de clarté et de prévisibilité de la norme. En effet, la précision des éléments constitutifs de l’infraction est commandée par le principe d’interprétation stricte de la loi pénale garantissant une application rigoureuse et équitable du droit. Dès lors la clarification de la notion de viol par l’intégration du critère du consentement s’impose comme une nécessité. Pour la France, l’objectif est de se conformer à la Convention d’Istanbul rappelée dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 23 janvier 2025 qui énonce que l’article 36 de cette convention introduit un consentement « donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans des circonstances environnantes ». Le fait, pour l’auteur, de ne pas tenir compte d’une absence manifeste de consentement pourrait suffire à caractériser l’intention criminelle. Ce faisant, la réforme marque une rupture importante avec une vision figée et implicite du consentement : il n’est plus perpétuel, ni irrévocable une fois donné. De même, la proposition de loi précise que le consentement ne peut pas être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la victime, à l’instar des standards posés par la Convention d’Istanbul (article 36), qui prohibe toute inférence du consentement fondée sur le silence ou l’inaction de la victime. Dès lors, cela incite à une appréciation plus fine et contextuelle des circonstances entourant l’acte. A l’aune de cette proposition de modification, le Conseil d’Etat dans un avis du 6 mars 2025 vient répondre aux éventuelles interrogations et conséquences de celle-ci. Il émet à ce titre une réserve sur l’utilisation de l’adverbe « notamment » dans la proposition « il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise » puisque cela laisserait une marge de manœuvre indéterminée d’identification des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels. Par ailleurs, le Conseil d’État tient à écarter toute crainte d’une formalisation excessive du consentement, assimilable à une logique quasi-contractuelle, notamment à la lumière de l’exemple espagnol. En effet, en Espagne, l’introduction du consentement explicite dans la loi avait été interprétée comme l’affirmation selon laquelle « seul un oui est un oui », ce qui laissait craindre une certaine formalisation ou contractualisation du rapport sexuel. Le Conseil d’État rappelle que tel n’est pas l’objectif poursuivi par le législateur français. Toutefois, une réserve subsiste quant à la rédaction relative à l’exploitation de la situation de vulnérabilité temporaire ou permanente de la victime. Cette modification est jugée imprécise dans la mesure où elle s’articule mal avec des circonstances aggravantes déjà prévues pour les infractions sexuelles commises sur des personnes vulnérables. L’adoption d’une telle proposition n’est donc pas exempte de failles et pourtant la France n’est pas le seul pays européen à vouloir introduire cette notion dans la définition pénale du viol comme l’explique bien Maître Azougach. La suède a pu introduire le 1er juillet 2018 un principe selon lequel « sans un consentement clair et affirmatif, il y a viol ». Celle-ci va d’ailleurs plus loin nous explique Maitre Azougach en introduisant la notion de « viol par négligence » permettant ainsi de poursuivre une personne qui n’a pas activement vérifié l’existence du consentement. Cette réforme semble rencontrer un réel impact sur le nombre de condamnation pour viol en Suède qui a augmenté de 75%. La Belgique a, quant à elle, décidé de placer comme élément central de l’infraction l’absence de consentement. Ainsi la France tente-elle de se diriger vers une réforme en prenant appui sur l’exemple de ses voisins européens pour permettre une meilleure appréhension du fait criminel en élargissant les possibilités de poursuites judiciaires.

Ainsi, l’introduction du consentement votée par l’Assemblée nationale permet une clarification essentielle, conforme aux exigences du droit pénal mais également aux engagements internationaux de la France. Toutefois, cette évolution suscite également des interrogations quant à ses implications pratiques notamment sur le terrain probatoire. L’une des principales craintes formulées réside dans le risque d’une présomption de défaut de consentement qui pourrait inverser la charge de la preuve.

B. L’absence de présomption de défaut de consentement posée par la proposition de loi

La proposition de loi pose une définition rigoureuse du consentement, le qualifiant de libre et éclairé, pouvant être retiré à tout moment, avant ou après l’acte sexuel. En posant ces critères, la proposition de loi transpose une notion déjà bien connue du droit civil, où le consentement peut être vicié par l’erreur, le dol ou la violence, vers le champ pénal, tout en l’adaptant à la spécificité des infractions sexuelles. Cette clarification présente un double avantage : d’une part elle renforce la lisibilité de l’infraction pour les justiciables, d’autre part elle permet d’éviter les dérives interprétatives. Une inquiétude subsiste néanmoins : le risque d’une présomption de non-consentement, susceptible d’inverser la charge de la preuve au détriment du mis en cause. Toutefois, cette crainte est expressément dissipée par le Conseil d’Etat qui souligne dans son avis que la charge de la preuve continuera de reposer sur le ministère public. Il reviendra donc toujours au procureur de la République d’établir l’un des éléments matériels constitutifs de l’infraction (violence, contrainte, menace ou surprise), en démontrant que l’acte sexuel a été imposé sans le consentement de la victime, et non au défendeur d’en rapporter la preuve. Cependant, là encore une difficulté apparaissait car en droit français, la charge de la preuve porte en principe sur celui qui allègue un fait et il est de jurisprudence constante qu’il est complexe de prouver un fait négatif, tel que l’absence de consentement. Il est classiquement admis en droit que la preuve d’un fait négatif, telle que l’absence de consentement, constitue une charge probatoire particulièrement lourde, souvent qualifiée de ‘preuve diabolique’ en doctrine, une preuve qui place celui qui doit la rapporter dans une position quasi inextricable. Cette problématique est d’ailleurs particulièrement sensible dans les infractions sexuelles où la parole de la victime et celle du mis en cause s’opposent souvent sans témoins ni preuves directes. Là encore, la proposition de loi cherche à éviter cet écueil par la définition précise d’un consentement dans le but de sortir de l’impasse du « parole contre parole ».

Pour conclure, l’intégration du consentement permettrait de clarifier la définition pénale du viol, de sortir des zones grises trop souvent oubliées et de permettre une meilleure prise en compte des circonstances entourant l’infraction. Cependant, l’intégration pourrait ne pas résoudre toutes les difficultés et le manque de recul pour juger de son efficacité ne permet pas encore de se positionner sur l’opportunité d’une telle modification. On peut d’autant plus s’interroger sur son efficacité à l’aune de l’exemple espagnol où l’intégration du consentement n’a pas eu que des effets positifs sur le taux de condamnation. En outre, une telle intégration ne peut résoudre le problème sociétal de la « culture du viol », certains avocats comme Lorraine Questiaux préconisent la mise en place d’une commission similaire à la Commission Outreau permettant de réformer tous les maillons de la chaine judiciaire. Il reste à voir si ce vote par l’Assemblée nationale sera également suivi d’un vote positif du Sénat.

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